ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE NORD-AMÉRICAIN
GROUPE SPÉCIAL ARBITRAL INSTITUÉ CONFORMÉMENT AU CHAPITRE 20
DANS L’AFFAIRE:
DES SERVICES TRANSFRONTIÈRES DE CAMIONNAGE |
(Dossier du Secrétariat
no USA-MEX-98-2008-01)
|
51. La réglementation américaine de la sécurité s’applique aux
transporteurs mexicains exerçant une activité dans les zones frontalières,
mais les transporteurs domiciliés au Mexique ne sont pas assujettis aux
prescriptions de la FMCSA pour ce qui concerne le contrôle de conformité
en établissement.
52. Donc, tous les transporteurs sont intégralement assujettis à toutes
les dispositions réglementaires américaines en matière de sécurité. Ils
doivent aussi avoir contracté au moins une assurance au voyage, dont leurs
camionneurs sont tenus de disposer d’une attestation à bord, et être
représentés par un mandataire inscrit aux États-Unis.44
53. Il ressort des mémoires des États-Unis aussi bien que du Mexique que
la grande majorité des camions mexicains qui entrent dans les zones
frontalières sont utilisés seulement pour des opérations de factage. Le
terme « factage », dans le présent rapport, s’entend du cas où un véhicule
tracteur mexicain tire une remorque du territoire mexicain à la zone
frontalière américaine et où cette remorque est alors attachée à un
tracteur américain, qui la tire jusqu’à la destination américaine finale
du chargement. Dans la présente espèce, les États-Unis soutiennent que la
plupart des remorques appartiennent à des personnes des États-Unis, mais
on observe aussi une activité considérable de transbordement entre
remorques appartenant à des transporteurs différents.45
54. Le Mexique et les États-Unis sont d’accord pour dire que les camions
mexicains utilisés pour le factage dans les zones commerciales sont en
général plutôt vieux. Cependant, le Mexique fait valoir que l’état
relativement peu satisfaisant des camions mexicains utilisés pour le
factage ne peut être considéré comme représentatif de l’état des grands
routiers mexicains.46
55. En 1999, 8 400 entreprises mexicaines détenaient un permis
d’exploitation en zone commerciale frontalière.47
56. La deuxième exception a pour objet les transporteurs mexicains qui
transitent par les États-Unis vers le Canada. Selon les dispositions du 49
U.S.C. §13501, la compétence du Department of Transportation se limite à
exiger un permis d’exploitation des transporteurs exerçant une activité
entre des États des États-Unis ou entre un État des États-Unis et
l’étranger. Le Congrès n’a pas conféré au Department of Transportation le
pouvoir d’obliger les camionneurs mexicains transitant par les États-Unis
vers le Canada à obtenir un permis d’exploitation.
57. Les camions mexicains qui transitent par les États-Unis à destination
du Canada ne sont pas touchés par le moratoire. Par conséquent, les
camionneurs mexicains roulant à destination du Canada sont autorisés à
entrer aux États-Unis sans permis d’exploitation. Les seules prescriptions
auxquelles ils sont assujettis sont l’obligation de contracter une
assurance et celle de se conformer à la réglementation américaine en
matière de sécurité.48
58. Les États-Unis font observer que, selon un rapport sur les
transporteurs routiers domiciliés au Mexique établi en 1999 par l’Office
of Inspector General (Inspection générale), service relevant du DOT, une
seule entreprise mexicaine de camionnage transportait alors des
marchandises du Mexique au Canada via le territoire américain.49
59. Ne sont pas non plus touchées par le moratoire les entreprises
mexicaines de camionnage jouissant de droits acquis, c’est-à-dire
auxquelles on avait délivré un permis d’exploitation avant l’entrée en
vigueur du moratoire en 1982. Cinq transporteurs mexicains bénéficient de
cette exemption.50
60. L’ICC Termination Act de 1995 exempte de l’application du moratoire
les entreprises de camionnage domiciliées au Mexique qui appartiennent à
des personnes des États-Unis.51
61. Les transporteurs domiciliés au Mexique et appartenant à des personnes
des États-Unis sont au nombre approximatif de 160.52 Ou bien leur équipement
doit être fabriqué aux États-Unis, ou bien les droits de douane
applicables doivent avoir été payés s’il est importé. Ces transporteurs
sont soit des commissionnaires qui transportent des catégories de
marchandises déterminées, en général des denrées alimentaires ou des
matières premières, soit des entreprises qui transportent leurs propres
marchandises.53
62. Avant la promulgation du Motor Carrier Safety Improvement Act de 1999
(Loi sur l’amélioration de la sécurité des transports routiers), les
transporteurs mexicains pouvaient louer leur équipement et les services de
leurs conducteurs à des entreprises américaines de camionnage. On voulait
ainsi permettre aux transporteurs américains d’accroître leur parc
automobile sans avoir à immobiliser des capitaux dans de nouvelles
dépenses d’équipement.54 On s’est cependant rendu compte qu’« il était
possible d’invoquer cette disposition pour, essentiellement, vendre les
permis d’exploitation de transporteurs américains à des transporteurs
mexicains à des fins d’activité hors des zones commerciales frontalières
». L’article 219 du Motor Carrier Safety Improvement Act de 1999 a aboli
l’exception relative à la location.55
63. La publication de la circulaire présidentielle du 1er janvier 1994, à
la suite d’un accord de réciprocité conclu entre les États-Unis et le
Mexique concernant les fréteurs d’autocars et compagnies de cars de
tourisme, a marqué un changement relativement aux restrictions frappant
les transporteurs routiers mexicains. Cette circulaire autorisait l’ICC à
délivrer des permis d’exploitation aux transporteurs de voyageurs détenus
ou contrôlés par des personnes du Mexique pour les itinéraires
internationaux (Mexique-États-Unis), le transport entre des points des
États-Unis étant exclu. Cet avantage a été maintenu à l’annexe I de
l’ALÉNA, et les compagnies mexicaines de cars de tourisme restent
autorisées à offrir des services transfrontières aux États-Unis.
64. Les marchandises transbordées dans les zones frontalières à
destination d’un point extérieur restent généralement dans la même
remorque. Celle-ci passe alors d’un tracteur de zone longue à un tracteur
de factage, puis à un tracteur américain de zone longue. La remorque
mexicaine reste attachée au tracteur américain jusqu’à sa destination
finale sur le territoire américain. C’est ainsi que les remorques
mexicaines sillonnent les États-Unis, tirées par des tracteurs américains.56
65. Les États-Unis expliquent comme suit l’indifférence que leur prête le
Mexique à l’égard des garanties de sécurité offertes par les remorques
mexicaines : « En pratique, [...] les remorques mexicaines n’ont pas donné
lieu à d’importantes préoccupations de sécurité parce que de 80 à 90 p.
100 des remorques utilisées dans le commerce transfrontières appartiennent
en fait à des personnes des États-Unis ».57
66. L’ALÉNA est entré en vigueur le 1er janvier 1994. L’annexe I de cet
accord oblige à éliminer progressivement certaines réserves aux articles
1102 ou 1202 (traitement national) et aux articles 1103 ou 1203 (traitement
de la nation la plus favorisée).58
67. En ce qui a trait aux services transfrontières de camionnage, l’annexe
I prévoit que les ressortissants mexicains seront autorisés à obtenir des
permis d’exploitation pour la prestation de services transfrontières de
camionnage dans les États frontaliers trois ans après la signature de
l’ALÉNA, soit le 18 décembre 1995, et pour la fourniture de services
transfrontières de camionnage sur l’ensemble du territoire des États-Unis
six ans après l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, c’est-à-dire le 1er janvier
2000.
68. En ce qui concerne l’investissement, le délai d’élimination
progressive de la réserve était de trois ans après la signature de l’ALÉNA,
c’est-à-dire qu’il expirait le 18 décembre 1995, pour l’établissement
d’entreprises de camionnage destinées au transport de chargements
internationaux entre des points du territoire américain, et il était de
sept ans après l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, c’est-à-dire qu’il expirait
le 1er janvier 2001, pour l’établissement d’entreprises d’autocars
destinées au transport entre des points du territoire américain.
69. Au cours du mois qui a précédé l’échéance du 18 décembre 1995, les
gouvernements mexicain et américain se préparaient tous deux à la
suppression des réserves formulées à l’annexe I.
70. Il a été institué, conformément au sous-alinéa 913(5)a)(i) de l’ALÉNA,
un Sous-comité des normes relatives aux transports terrestres pour mettre
en oeuvre un programme de travail visant à rendre compatibles les mesures
normatives applicables au transport par autocar et au camionnage.
Conformément à l’annexe 913.5.a-1, des délais particuliers, courant tous à
compter de la date d’entrée en vigueur de l’ALÉNA, ont été fixés pour les
diverses tâches : 1) au plus tard un an et demi « pour les mesures
normatives non médicales touchant les conducteurs, notamment les mesures
se rapportant à l’âge des conducteurs et à la langue qu’ils pourront
utiliser »; 2) au plus tard deux ans et demi « pour les mesures normatives
médicales touchant les conducteurs »; 3) au plus tard trois ans « pour les
mesures normatives touchant les véhicules, notamment celles concernant les
poids et dimensions, les pneus, les freins, les pièces et accessoires,
l’arrimage des chargements, l’entretien et les réparations, les
inspections, et les niveaux d’émissions et de pollution »; 4) au plus tard
trois ans pour les mesures normatives touchant le contrôle, par chacune
des Parties, du respect des règles de sécurité applicables au transport
routier; et 5) au plus tard trois ans pour les mesures normatives touchant
la signalisation routière.59
71. Il était prévu dans le programme de travail que les Parties rendraient
leurs mesures normatives compatibles après l’échéance pour ce qui concerne
l’autorisation de fournir des services transfrontières de camionnage dans
les États frontaliers. Il est en outre à noter que le paragraphe 904(3)
interdit aux Parties l’application discriminatoire des mesures normatives.60
72. « Depuis la période qui a précédé l’entrée en vigueur de l’ALÉNA, les
gouvernements mexicain et américain n’ont cessé de collaborer activement
au progrès de la coordination de leurs réglementations respectives des
transports routiers ».61
73. Ces travaux réunissaient des hauts fonctionnaires des États
frontaliers américains et mexicains, de la Commercial Vehicle Safety
Alliance (Association pour la sécurité des véhicules utilitaires) et de
l’Association internationale des chefs de police. Ils comprenaient une
formation offerte par les États-Unis aux fonctionnaires mexicains en
matière d’inspection routière et de contrôle des matières dangereuses, une
campagne médiatique visant à sensibiliser les entreprises mexicaines à la
réglementation américaine en matière de sécurité, et l’accroissement des
subventions fédérales aux États frontaliers américains en vue d’augmenter
l’efficacité des services d’inspection à la frontière.62 Le 22 août 1991, le
Mexique a rejoint les États-Unis et le Canada comme membre de plein droit
de la Commercial Vehicles Safety Alliance.63 Le 21 novembre 1991, le Mexique
et les États-Unis ont adopté des lignes directrices uniformes pour
l’inspection routière, des règles uniformes concernant les permis de
conduire pour les véhicules utilitaires et « des normes communes touchant
les critères applicables aux conducteurs tels que l’évaluation des
connaissances et aptitudes, l’établissement de l’incapacité et les
caractéristiques physiques exigées ».64
74. Le 5 septembre 1995, le Secrétaire américain aux transports, M. Peña,
a publié un communiqué de presse annonçant l’adoption de nouvelles mesures
propres à assurer « une transition harmonieuse, sûre et efficace à la mise
en oeuvre de l’ALÉNA ». Ces mesures étaient entre autres les suivantes :
- Il devait être constitué un groupe de travail réunissant de hauts
fonctionnaires des quatre États frontaliers et des organismes fédéraux
américains, qui serait chargé de tâches relatives à la mise en oeuvre des
dispositions de l’ALÉNA applicables aux transports. Ce groupe devait se
réunir jusqu’au 17 décembre 1995 et après pour « assurer la sécurité et
l’efficacité maximales des opérations ».
- Il devait être mis en oeuvre une stratégie commune de l’administration
fédérale et des États frontaliers portant sur tous les aspects du contrôle
de l’observation et de l’application des règles de sécurité dans ces États,
stratégie conçue pour résoudre les problèmes que pourrait poser
l’augmentation du nombre de camions utilisés dans les activités
transfrontières.
- Une vaste campagne de sensibilisation devait être lancée dans le but de
diffuser aux États-Unis, au Mexique et au Canada de l’information sur les
prescriptions américaines régissant les activités de transport routier.
75. Le 18 octobre 1995, l’ICC a publié au
Federal Register un projet de
règlement intitulé « Freight Operations by Mexican Carriers –
Implementation of North American Free Trade Agreement » (Le transport de
marchandises par des entreprises mexicaines – mise en oeuvre de l’Accord
de libre-échange nord-américain). L’ICC a publié dans le même organe le 13
décembre 1995 un autre avis « portant que le projet de règlement serait
adopté, et entrerait en vigueur le 18 décembre 1995 »,65 date de mise en
oeuvre des dispositions de l’ALÉNA relatives aux services transfrontières
de camionnage.
76. Le règlement de l’ICC exigeait des demandeurs mexicains, américains et
canadiens qu’ils certifient avoir prévu un système propre à assurer
l’observation d’ensemble du Federal Motor Carrier Safety Regulations et
avoir affecté une personne à cette tâche. L’obtention d’un permis
d’exploitation était subordonnée à l’observation de toutes les règles de
sécurité du DOT et de celles de l’ICC touchant les assurances.66 Les
procédures de délivrance de permis d’exploitation pour la prestation de
services de transport entre le Mexique et les États frontaliers américains
étaient identiques à celles en vigueur pour les demandeurs des États-Unis
et du Canada, à ceci près que la formule de demande destinée aux
transporteurs mexicains portait la désignation OP-1MX.67
77. Le 4 décembre 1995, le Secrétaire américain aux transports, M. Peña, a
déclaré lors d’une conférence de presse commune des gouvernements
américain et mexicain que les deux pays étaient « prêts pour le 18
décembre ».68 Or, le 18 décembre 1995, M. Peña publiait un communiqué de
presse selon lequel le Mexique et les États-Unis s’efforçaient de concert
d’accroître les garanties de sécurité offertes par les camions mexicains,
mais que, comme les travaux nécessaires n’étaient pas achevés, les
États-Unis se contenteraient pour l’instant de recevoir et d’étudier les
demandes de permis des entreprises mexicaines de camionnage, sans arrêter
définitivement les décisions de délivrance. Par conséquent, l’autorisation
de dépasser les limites des zones commerciales frontalières antérieurement
définies s’est trouvée subordonnée, pour tous les camionneurs mexicains, à
l’achèvement des consultations avec le gouvernement mexicain. Ce refus de
conclure l’examen des demandes mexicaines revenait essentiellement pour
les États-Unis à maintenir le moratoire appliqué aux entreprises
mexicaines de camionnage avant le 18 décembre 1995.69
78. Les États-Unis ont expliqué que leurs mesures étaient fondées sur
l’insuffisance imputée aux camions mexicains sous le rapport de la
sécurité et ont évoqué deux incidents présumés mettant en jeu des camions
mexicains, l’un datant de l’automne 1995 et l’autre plus précisément du
mois de novembre de la même année – deux cas de déversement de matières
dangereuses. Dans le premier de ces deux incidents présumés, le conducteur
avait 16 ans et n’avait pu produire ni attestation d’assurance ni
documents de transport; de plus, le camion en cause présentait des freins
défectueux et un certain nombre de pneus lisses. Le Mexique soutient que
ces incidents présumés sont dénués de pertinence dans la présente espèce,
parce qu’il aurait pu lui-même produire des renseignements sur plusieurs
cas où des camionneurs américains ont causé des accidents en enfreignant
la loi américaine.
79. En outre, au début de décembre 1995, le GAO, le « service d’enquête »
du Congrès américain, a communiqué au DOT son rapport sur le camionnage
transfrontières mexicain. Ce rapport, publié officiellement le 29 février
1996, faisait état de différences notables entre les réglementations
américaine et mexicaine en matière de sécurité du transport routier de
marchandises. Le Mexique avait bien mis en place un programme d’inspection
des camions et de contrôle d’application de la réglementation de sécurité,
y disait-on, mais il ne disposait pas des installations et du personnel
nécessaires pour le mettre en oeuvre. Toujours selon ce rapport, une
proportion considérable des camions mexicains utilisés dans les zones
commerciales des quatre États frontaliers américains ne remplissaient pas
les normes américaines en matière de sécurité.70
80. Le 12 décembre 1995, 32 coalitions aux intérêts diversifiés réunissant
des groupes religieux, syndicaux et écologistes ont adressé au Président
Clinton une lettre l’exhortant à retarder la mise en oeuvre des
obligations découlant de l’ALÉNA, qui devaient devenir exécutoires le 18
décembre 1995.71
81. Le 15 décembre 1995, l’International Brotherhood of Teamsters (Fraternité
internationale des camionneurs), syndicat américain représentant, entre
autres, les salariés de certaines entreprises américaines de camionnage, a
engagé une procédure de contestation du projet de règlement de l’ICC
relatif aux services transfrontières de camionnage. Fin décembre 1995
(après la publication du communiqué de presse du 18 décembre), la Cour
d’appel des États-Unis (District de Columbia) a rejeté la requête en
injonction provisoire déposée par les Teamsters, se fondant sur la thèse
de l’administration américaine selon laquelle, comme l’indiquait le
communiqué du Secrétaire aux transports, il ne serait pas fait droit aux
demandes de permis d’exploitation provenant d’entreprises mexicaines. Les
parties ont exposé leurs prétentions par écrit et oralement en 1996, et la
Cour a ensuite laissé l’affaire en suspens en attendant que le
gouvernement américain décide de mettre en oeuvre les dispositions de
l’ALÉNA relatives aux services transfrontières de camionnage.
82. Le 18 décembre 1995, date prévue pour la mise en oeuvre des
dispositions de l’ALÉNA concernant les services transfrontières de
camionnage, le Secrétaire américain aux transports a publié un deuxième
communiqué de presse, où l’on pouvait lire le passage suivant :
À compter d’aujourd’hui, les Parties à l’ALÉNA commenceront à accepter les
demandes de permis d’exploitation provenant de transporteurs routiers
d’une autre Partie pour ce qui concerne le commerce international dans les
États frontaliers mexicains et [américains].72
Cependant, le Secrétaire aux transports ajoutait que les décisions finales
à l’égard des demandes pendantes ne seraient prises qu’une fois achevées
les consultations entreprises par les États-Unis et le Mexique en vue de
faire progresser leurs régimes respectifs de sécurité des transports
routiers. À ce jour, le moratoire est encore en vigueur.
83. Le communiqué de presse portait aussi que, à compter du 18 décembre
1995, les ressortissants mexicains seraient autorisés à investir dans les
transporteurs américains pratiquant le commerce international.
84. Malgré sa déclaration suivant laquelle les ressortissants mexicains
seraient autorisés à investir dans les transporteurs américains à compter
de décembre 1995, le DOT a continué d’appliquer jusqu’à l’heure actuelle
une prohibition complète à l’acquisition ou au contrôle par des
ressortissants mexicains d’entreprises américaines de transport de
marchandises ou de personnes. Cette prohibition est appliquée par le moyen
du formulaire de demande de nouveau permis d’exploitation, où il est
prescrit au demandeur de certifier qu’il n’est pas un ressortissant
mexicain et que le transporteur n’est pas détenu ou contrôlé par des
ressortissants mexicains. Pour faire droit à la demande d’acquisition d’un
transporteur routier existant, le DOT exige aussi du demandeur qu’il
indique si l’acquéreur est domicilié au Mexique ou si le transporteur est
détenu ou contrôlé par des personnes de ce pays. Ces restrictions ont pour
effet d’interdire tout investissement de personnes du Mexique dans les
transporteurs américains, étant donné que la demande serait rejetée si
elle portait que le demandeur appartient à des ressortissants mexicains.73
85. Ces déclarations relatives à la participation d’entités mexicaines aux
transactions sont requises par le 49 C.F.R. §1182.2(a)(10). Il semble que
le DOT n’ait ni publié ni annoncé officiellement l’application de cette
restriction ailleurs que dans le formulaire de demande. Or, les
restrictions à l’exploitation appliquées antérieurement par l’ICC et
actuellement par le DOT ont bel et bien pour effet d’empêcher la
délivrance de nouveaux permis d’exploitation aux transporteurs domiciliés
aux États-Unis qui sont détenus ou contrôlés par des transporteurs
mexicains.
86. Il n’a été déposé aucune pièce attestant que les États-Unis auraient
autrement publié ou commenté leur décision de ne pas mettre en oeuvre les
dispositions de l’ALÉNA qui font l’objet de la présente procédure.
87. Au 20 juillet 1999, le DOT avait reçu de personnes du Mexique 184
demandes de permis d’exploitation pour la prestation de services
transfrontières de camionnage dans les États frontaliers.74
88. L’existence de différences entre les deux réglementations intérieures
n’est pas contestée. Le Mexique aussi bien que les États-Unis ont décrit
en détail dans leurs mémoires la réglementation américaine du camionnage,
et les États-Unis ont comparé leur système à celui du Mexique pour en
dégager les différences. Les deux pays sont d’accord pour dire que la
réglementation mexicaine n’est pas identique à celle des États-Unis. Le
désaccord porte donc sur la question de savoir si les différences séparant
les deux réglementations intérieures justifient le refus des États-Unis de
laisser entrer les camions mexicains sur leur territoire.
89. Du 31 décembre 1995 à janvier 2000, les aspects économiques et
techniques de la sécurité des transports routiers relevaient de la Federal
Highway Administration (FHWA), service qui fait partie du DOT. Depuis le
1er janvier 2000, la plupart des aspects de la réglementation des
transports routiers ressortit à un nouveau service du DOT, la Federal
Motor Carrier Safety Administration (FMCSA).
90. C’est le DOT qui délivre les permis d’exploitation aux transporteurs
routiers. La procédure de délivrance est fondée sur le système de
l’autocertification : l’entreprise qui dépose une demande doit certifier
qu’elle connaît toutes les dispositions réglementaires applicables en
matière de sécurité et qu’elle s’y conforme. Une fois le permis
d’exploitation délivré, la réglementation de la sécurité est exécutée par
le moyen d’inspections routières et de contrôles à l’établissement de
l’entreprise titulaire.
91. La réglementation américaine de la sécurité est fondée sur le Federal
Motor Carrier Safety Regulations (FMCSR). Ce règlement comprend des
dispositions sur les heures de service des conducteurs et les carnets de
route, et d’autres prescriptions applicables aux conducteurs : âge
minimum, qualités requises, connaissance de l’anglais, compréhension de la
signalisation routière, etc. Les conducteurs peuvent aussi être soumis à
des analyses relatives à l’usage de stupéfiants ou à la consommation
d’alcool. Les camions à usage commercial doivent être équipés de
dispositifs de sécurité, et le transporteur est lui-même tenu de vérifier
l’état et d’assurer l’entretien de tous les véhicules utilitaires qu’il
gère. Cette obligation comprend aussi celle de disposer d’un personnel
suffisamment qualifié pour s’acquitter des tâches d’entretien et de
vérification.
92. La FMSCA effectue aussi bien des inspections routières que des
contrôles au siège même des entreprises de camionnage (contrôles en
établissement). Le contrôle en établissement comporte un examen des
registres relatifs à la sécurité tenus dans les bureaux de l’entreprise de
camionnage. Ces inspections et contrôles donnent lieu à l’attribution
d’une cote de sécurité aux transporteurs, et ceux qui reçoivent la cote «
insatisfaisante » peuvent se voir retirer le droit d’exploiter des
véhicules utilitaires.
93. Les États-Unis ont pris un certain nombre de mesures pour assurer la
sécurité routière, notamment : la mise en place d’un ensemble complet de
normes rigoureuses de sécurité pour les véhicules et les conducteurs;
l’application de règles strictes de tenue de registres; l’exécution de ces
normes et règles par le moyen d’inspections routières, de contrôles en
établissement et de sanctions efficaces; et l’affectation suivie de
personnel et de ressources aux tâches coercitives. Il est donc fort
probable que la grande majorité des camions à usage commercial roulant aux
États-Unis chaque jour remplissent les normes minimales de sécurité de
l’administration américaine.75
94. Les matières dangereuses font l’objet d’un règlement distinct, le
Hazardous Materials Regulations (Règlement sur les matières dangereuses).
95. Les États-Unis ont expliqué que la réglementation mexicaine de la
sécurité des transports routiers est dépourvue d’un certain nombre des
prescriptions essentielles que comporte leur propre réglementation. Le
Mexique ne réglemente pas les heures de service des conducteurs et, sauf
dans le cas des entreprises qui transportent des matières dangereuses, il
n’exige pas la tenue de carnets de route. La réglementation mexicaine ne
comporte non plus aucune disposition régissant expressément l’état et
l’entretien des dispositifs de sécurité des camions à usage commercial.
Exception faite encore une fois des véhicules affectés au transport de
matières dangereuses, les entreprises mexicaines ne sont pas assujetties à
l’inspection périodique de leurs camions.
96. Pour ce qui concerne les matières dangereuses, les États-Unis ont
déclaré que la réglementation mexicaine suit de près les Recommandations
des Nations Unies concernant le transport des marchandises dangereuses,
mais qu’il y subsiste néanmoins d’importantes lacunes.
97. Les États-Unis et le Mexique sont donc d’accord pour dire qu’il existe
des différences considérables entre les réglementations américaine et
canadienne d’une part, et la réglementation mexicaine d’autre part. Par
exemple, s’il est vrai que le Mexique dispose d’une réglementation des
matières dangereuses, celle-ci ne comporte pas de prescriptions détaillées
concernant la construction, l’inspection et le fonctionnement comme les
réglementations américaine et canadienne. Les deux Parties contestantes
s’accordent aussi à reconnaître que les hauts fonctionnaires des
transports des deux pays ont déployé de concert des efforts en vue
d’améliorer le régime mexicain de sécurité et de développer la coopération
à cet égard.76
98. De plus, les États-Unis font observer qu’ils n’ont cessé depuis 1995
de s’efforcer d’améliorer les services d’inspection de leur côté de la
frontière. Des fonds spéciaux ont été attribués aux États frontaliers
américains pour les aider à intensifier leur activité d’inspection. Le
nombre des inspecteurs à plein temps à la frontière a triplé et s’établit
maintenant à 40. On note aussi une intensification des activités de
construction de postes d’inspection et de la coopération entre les
organismes dont relèvent la sécurité des transports routiers de
marchandises et les questions connexes.
99. Les descriptions détaillées qu’on a données des réglementations
intérieures des Parties contestantes montrent qu’il existe des différences
entre elles et que les deux Parties s’efforcent de les réduire. Cependant,
les États-Unis soutiennent que ces différences justifient leur refus de
laisser entrer les camions mexicains sur leur territoire, tandis que le
Mexique fait valoir que l’état des réglementations intérieures est
dépourvu de pertinence quant au point de savoir s’il y a lieu de délivrer
des permis d’exploitation sur le territoire américain aux transporteurs
mexicains pris individuellement.
100. Comme il a été expliqué dans l’introduction, le point central du
différend est de savoir quelles mesures les Parties sont tenues de prendre
pour s’acquitter des obligations découlant des dispositions de l’ALÉNA
relatives au traitement national et au traitement de la nation la plus
favorisée (articles 1102, 1103, 1202 et 1203) et ce que les réserves de
l’annexe I permettent aux Parties de faire. Un autre point essentiel du
différend est la question de savoir si l’ALÉNA prévoit des exceptions qui
pourraient légitimer le fait pour les États-Unis de ne pas autoriser la
prestation de services transfrontières de transport de chargements
internationaux sur le territoire américain par des camionneurs mexicains.
IV. THÈSES DES PARTIES CONTESTANTES ET DU CANADA
101. Nous avons résumé dans l’introduction les thèses des Parties
contestantes et du Canada. Nous allons maintenant exposer de manière
approfondie les assertions formulées par le Mexique, les États-Unis et le
Canada à l’intention du Groupe spécial dans la présente procédure.
A. Thèses du Mexique
102. Le Mexique a proposé un examen approfondi des faits relatifs au
différend, notamment un tour d’horizon des dispositions américaines
concernant la délivrance de permis d’exploitation pour le transport de
marchandises et de personnes, une récapitulation des dispositions de
l’ALÉNA applicables au différend du camionnage transfrontières77 et un
exposé sur le revirement imputé aux États-Unis dans leur volonté de
s’acquitter des obligations découlant de l’ALÉNA.78 Les principales
assertions du Mexique sont les suivantes :
Les États-Unis s’étaient engagés à lever progressivement leur moratoire
sur les services transfrontières de camionnage et de transport par autocar
et sur l’investissement dans les entreprises établies aux États-Unis qui
fournissent de tel services. Ils devaient remplir cet engagement par
l’action convergente de deux ensembles de dispositions : 1) l’obligation
d’accorder le traitement national et le traitement de la nation la plus
favorisée aux fournisseurs de services et aux investisseurs d’une autre
Partie, et ii) l’élimination des réserves à l’obligation du traitement
national et du traitement de la nation la plus favorisée pour ce qui
concerne les services de camionnage et d’autocars et l’investissement dans
les entreprises fournissant de tels services, conformément aux calendriers
prévus à l’annexe I.79
103. Le Mexique soutient qu’il lui suffit, pour s’acquitter de la charge
prévue à l’article 33 des Règles de procédure types pour le chapitre 20 –
soit celle de faire la preuve que la mesure américaine est incompatible
avec les dispositions de l’Accord –, de montrer que « le gouvernement
américain a refusé sans motif légitime d’examiner les demandes de permis
provenant de transporteurs routiers mexicains ».80
104. Le Mexique fait valoir que l’article 34 des Règles de procédure types
impose aux États-Unis, étant donné qu’ils arguent de l’applicabilité d’une
exception prévue à l’ALÉNA, la charge de prouver que cette exception
s’applique.
105. Selon le Mexique, le Groupe spécial doit interpréter l’ALÉNA
conformément aux dispositions du paragraphe 102(2), ainsi libellé : « Les
Parties interpréteront et appliqueront les dispositions du présent accord
à la lumière des objectifs énoncés au paragraphe 1 et en conformité avec
les règles applicables du droit international ».81 Les objectifs du
paragraphe 102(1) visés en l’occurrence sont essentiellement ceux qui
consistent « entre autres, à éliminer les obstacles au commerce des
produits et des services entre les territoires des Parties et à faciliter
le mouvement transfrontières de ces produits et services; à favoriser la
concurrence loyale dans la zone de libre-échange; et à augmenter
substantiellement les possibilités d’investissement sur les territoires
des Parties ».82
106. Le Mexique invoque à l’appui de sa thèse la décision Concernant les
tarifs appliqués par le Canada sur certains produits agricoles en
provenance des États-Unis (CDA-95-2008-01), où il est dit entre autres que
« [t]oute interprétation adoptée par le Comité [c’est-à-dire le Groupe
spécial] doit par conséquent promouvoir plutôt que restreindre les
objectifs de l’ALÉNA ».83
107. Le Mexique note aussi l’applicabilité de la Convention de Vienne sur
le droit des traités, en particulier de son paragraphe 31(1), ainsi
libellé : « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens
ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la
lumière de son objet et de son but. » C’est là « le point de départ de
l’interprétation à donner à l’ALÉNA ».84 Le Mexique exhorte en outre le
Groupe spécial à se conformer au « principe de l’effet utile », suivant
lequel toute « interprétation doit donner signification et effet à tous
les termes du traité ».85
108. L’article 105 de l’ALÉNA stipule que « [l]es Parties feront en sorte
que toutes les mesures nécessaires soient prises pour donner effet aux
dispositions du présent accord ». Les États-Unis faisant valoir qu’ils
n’ont pas encore achevé tous les travaux nécessaires en prévision de
l’ouverture de la frontière, thèse que contredit la conférence de presse
donnée le 4 décembre 1995 par le Secrétaire américain aux transports, M.
Peña, le Mexique soutient que l’impréparation n’est pas une excuse. « S’il
en était ainsi, il serait loisible aux Parties de se dérober à
l’obligation d’appliquer à peu près toutes les dispositions de l’ALÉNA en
invoquant ce motif, ce qui serait contraire au principe de l’effet utile
».86
109. Le Mexique affirme qu’aucune disposition de l’ALÉNA ne confère à une
Partie le droit d’imposer ses propres lois et règlements à une autre. Cela
constituerait une atteinte inadmissible à la souveraineté nationale, à
laquelle il est certain qu’aucune Partie à l’ALÉNA ne s’est ainsi engagée
à renoncer.87 Par conséquent, l’ALÉNA n’oblige aucunement le Mexique à
appliquer les règles américaines, encore que les États-Unis et le Mexique
se soient concertés « dès le départ » pour rendre compatibles leurs
réglementations respectives.88
110. Or, selon le Mexique, les États-Unis ont subordonné la mise en oeuvre
de l’ALÉNA à l’adoption par le Mexique d’une réglementation identique des
transports routiers, alors que l’ALÉNA ne fait pas de l’harmonisation une
condition de son application.89
111. Le Mexique affirme que lorsque les États-Unis ont contracté leurs
engagements dans le cadre de l’ALÉNA, les gouvernements américain aussi
bien que mexicain étaient parfaitement conscients du fait que leurs
réglementations respectives des transports routiers n’étaient pas
identiques.
112. Le Mexique soutient que le respect des engagements d’accès aux
marchés des services de camionnage et d’autocars n’a pas été subordonné à
l’exécution complète du programme d’harmonisation des mesures normatives.
S’il est vrai que les Parties à l’ALÉNA ont adopté un programme de travail
visant à rendre compatibles les mesures normatives,
la mise en oeuvre des engagements d’accès aux marchés des transports
terrestres n’a pas été subordonnée à l’achèvement de l’exécution de ce
programme [...] Les gouvernements prévoyaient plutôt que les transporteurs
routiers devraient se conformer intégralement aux règles du pays dans
lequel ils fourniraient des services. Autrement dit, il était évident pour
tous qu’un transporteur routier mexicain qui demanderait un permis
d’exploitation aux États-Unis devrait prouver qu’il pourrait se conformer
à toutes les prescriptions établies pour les transporteurs routiers
américains [pendant qu’il fournirait des services sur le territoire
américain].90
113. Par conséquent, « les États-Unis ne sont nullement fondés à refuser
l’autorisation de fournir des services transfrontières au motif que le
Mexique n’a pas adopté une réglementation intérieure de la sécurité des
transports routiers qui soit compatible avec la leur ».91
114. Dans son mémoire postérieur à l’audience, le Mexique a insisté sur le
fait qu’« aucune étude officielle n’a jamais été effectuée pour étayer les
mesures américaines et que rien n’a été fait, dans le cadre des procédures
américaines de réglementation, pour adopter des dispositions applicables
aux transporteurs mexicains en matière de sécurité ».92
115. Selon le Mexique, le gouvernement américain a montré par ses mesures
et sa législation qu’il ne pense pas que les transporteurs, les camions ou
les conducteurs mexicains menacent en soi la sécurité routière ou soient
de quelque autre manière inaptes à la prestation de services sur le
territoire américain. La réalité est plutôt que les États-Unis, en 1995,
ont isolé une catégorie déterminée de permis d’exploitation – ceux qui
sont applicables aux services transfrontières expressément autorisés par
l’ALÉNA – pour en refuser la délivrance afin de manifester leur appui à
certains courants de l’opinion intérieure.93
116. Le Mexique, à propos de la situation du factage dans les régions
frontalières, fait valoir que les États-Unis ont choisi de ne pas
réglementer l’activité des transporteurs des zones frontalières de la même
manière que celle des transporteurs de l’intérieur, alors qu’ils seraient
parfaitement libres de le faire. Il est confirmé, selon le Mexique, que
les États-Unis sont satisfaits de la façon dont les transporteurs
mexicains observent les règles de sécurité par le fait qu’ils n’ont fourni
aucun effort pour réglementer le transfert des remorques mexicaines aux
véhicules tracteurs américains.94 Qui plus est, « même si le gouvernement
américain était réellement mû par des préoccupations de sécurité, il ne
s’y serait pas pris de la bonne façon pour y donner suite ».95
117. Le Mexique estime que le « marquage » appliqué par les États-Unis,
selon lequel « les transporteurs routiers mexicains, pris collectivement,
seraient trop dangereux pour qu’on leur permette d’exercer leur activité
sur le territoire américain », non seulement n’est pas conforme aux faits,
mais constitue un manquement à l’obligation du traitement national. Les
transporteurs américains, contrairement à leurs homologues mexicains, «
jouissent en vertu de la loi américaine 1) du droit d’être évalués en
fonction de leurs dossiers individuels et ii) d’un droit de recours sans
réserves contre le rejet de leurs demandes de permis d’exploitation. Or,
ces deux droits ont été refusés aux transporteurs mexicains en violation
de l’ALÉNA ».96
118. Le Mexique relève la décision de l’ICC en date du 30 novembre 1995,
selon laquelle il ne devait pas être appliqué aux demandeurs mexicains de
prescriptions substantiellement différentes de celles appliquées aux
autres transporteurs routiers. Selon le Mexique, l’ICC a agi ainsi pour se
conformer à l’obligation du traitement national découlant de l’ALÉNA,
malgré les pressions contraires exercées par les Teamsters, fondant sa
conclusion en partie sur « l’absence d’éléments tendant à prouver que les
demandeurs mexicains seraient plus susceptibles que les transporteurs
nationaux de ne pas appliquer ou de mal comprendre les vérifications
détaillées prévues au formulaire de demande, ou de faire des déclarations
mensongères [...] ».97
119. Le Mexique affirme aussi que le gouvernement américain a manqué à
l’obligation du traitement de la nation la plus favorisée découlant de
l’article 1203 de l’ALÉNA en ceci qu’il « accorde le traitement national
aux transporteurs routiers canadiens, sans leur imposer aucune des
restrictions frappant les transporteurs mexicains ». Le motif invoqué par
les États-Unis pour ce traitement différencié – à savoir que la
réglementation canadienne des transporteurs routiers est « compatible »
avec celle des États-Unis conformément à un accord de reconnaissance
mutuelle datant d’avril 1994 – est controuvé : en fait, les États-Unis ont
accordé le traitement national au Canada dès 1960, longtemps avant la
signature du Protocole d’entente de 1994.98
120. À propos de l’expression « dans des circonstances analogues », le
Mexique se déclare en désaccord avec les États-Unis sur la portée de ces
termes. Selon le Mexique, le contre-mémoire américain donne à entendre que
cette expression devrait être interprétée on ne sait trop comment comme
créant une exemption générale de l’obligation du traitement national pour
une Partie qui invoquerait la protection de la santé et de la sécurité.
Or, fait observer le Mexique, cette interprétation n’est pas étayée par
l’historique des négociations dont l’ALÉNA est issu.99
121. Les transporteurs mexicains veulent pouvoir fournir des services de
camionnage en zone longue – exactement le même genre de services que ceux
que fournissent leurs homologues américains et canadiens. Étant donné
notamment l’historique de la négociation de l’ALÉNA, qui montre que les
Parties sont convenues que le membre de phrase « fournisseurs de services
[...] dans des circonstances analogues » devait être entendu dans le même
sens que « services et fournisseurs de services analogues », il ne fait
aucun doute que les transporteurs mexicains pris individuellement se
trouvent « dans des circonstances analogues » à celles des transporteurs
américains et canadiens.
122. Le Mexique fait valoir que la source de l’expression « dans des
circonstances analogues » se trouve à l’article 1402 de l’Accord de
libre-échange Canada-États-Unis (ALÉ).100 Cette expression, d’après le
Mexique, « n’autorisait pas une Partie à refuser le traitement national au
motif de la protection de la santé et de la sécurité ». Elle était plutôt
« conçue pour remplir une fonction du même ordre que celle que remplissait
l’expression “produit semblable” en matière de commerce des produits –
c’est-à-dire pour faire en sorte que les comparaisons entre les
réglementations soient faites à l’égard de services et d’entreprises
suffisamment semblables ».101
123. Si le fait que les transporteurs mexicains fussent domiciliés au
Mexique avait exigé certaines modifications de la procédure de demande de
permis ou du système de surveillance, les États-Unis auraient pu, selon le
Mexique, apporter ces modifications. « Autrement dit, même si les
transporteurs mexicains n’étaient pas d’une manière ou d’une autre
“analogues” aux transporteurs américains et canadiens, il était possible
aux États-Unis d’établir des prescriptions qui les eussent rendus tels. Au
lieu d’établir de telles prescriptions, les États-Unis ont arbitrairement
décidé de refuser d’autoriser les transporteurs mexicains à exercer leur
activité sur le territoire américain (et, par surcroît, seulement dans les
cas où ils auraient pu entrer en concurrence directe avec les
transporteurs américains) ».102
124. Le Mexique note à l’appui de cette interprétation que s’il suffisait
qu’un fournisseur de services soit d’un pays donné pour se trouver dans
des « circonstances non analogues » à celles des entreprises nationales,
l’obligation du traitement national découlant de l’ALÉNA serait dépourvue
de signification.103
125. Le Mexique soutient en outre que ni le traitement national ni le
traitement de la nation la plus favorisée (NPF) ne peuvent être
subordonnés à « l’adoption par une Partie de lois ou de règlements qu’une
autre Partie estime souhaitables ». Les États-Unis, à cet égard, n’ont pas
démontré « pourquoi la réglementation mexicaine des fournisseurs de
services exerçant leur activité au Mexique – qui dans leur immense
majorité n’entreront jamais aux États-Unis – devrait être considérée comme
pertinente s’agissant de décider le traitement du petit nombre de
transporteurs mexicains qui demandent un permis d’exploitation sur le
territoire américain ». Les États-Unis n’ont pas essayé non plus
d’expliquer comment ces obligations découlant de l’ALÉNA pourraient être
considérées comme « subordonnées à l’adoption d’une réglementation
identique ou équivalente ».104
126. Le Mexique, apparemment pour contrer à l’avance une argumentation
éventuelle des États-Unis fondée sur le chapitre 9 (lequel n’a pas été
invoqué par ceux-ci), a soutenu que si le Groupe spécial concluait que le
moratoire américain est effectivement
une mesure [de sécurité], fondée sur une norme de sécurité spécialement
applicable aux transporteurs mexicains ou destinée à assurer l’observation
d’une telle norme, il devrait conclure aussi que les mesures américaines
enfreignent l’ALÉNA, [...] [étant donné que] le gouvernement américain ne
s’est pas conformé à la procédure prévue au chapitre 9 de l’ALÉNA, [qu’]il
n’a procédé à aucune évaluation des risques à l’appui de sa prétendue
norme de sécurité comme l’y obligeait l’article 907 de l’ALÉNA et [qu’]il
n’a jamais publié la norme ni ménagé au public la possibilité de présenter
des observations comme l’article 909 lui en faisait un devoir.105
127. D’après le Mexique, les États-Unis ont en fait « interdit aux
demandeurs mexicains de mener à terme la procédure d’autorisation en
refusant d’examiner leurs demandes ». Les mesures américaines ont eu pour
effet d’interdire aux transporteurs mexicains « toute possibilité de se
conformer aux mesures normatives ».106 De plus, « la prétendue norme est
subjective et arbitraire [...] et enfreint par conséquent l’article 904 de
l’ALÉNA ».107 Le Mexique fait valoir que, pour ce qui concerne le chapitre 9
(mesures normatives), la prohibition complète frappant les transporteurs
mexicains enfreint le paragraphe 904(3) et n’est légitimée par aucune
autre disposition de l’ALÉNA, parce qu’elle refuse aux transporteurs
mexicains la possibilité de se conformer aux normes américaines.108
128. Le Mexique fait en outre valoir la non-pertinence de l’exception
prévue au paragraphe 904(2), qui permet à chacune des parties, « en vue de
la réalisation de ses objectifs légitimes touchant la sécurité, la
protection de la santé et de la vie des personnes ou des animaux, la
préservation des végétaux ou la protection de l’environnement ou des
consommateurs » d’« établir les niveaux de protection qu’elle juge
appropriés ». Les mesures américaines n’ont pas réellement été prises « en
vue de la réalisation d’“objectifs légitimes touchant la sécurité”. Les
États-Unis n’ont pas établi un “niveau de protection” : ils ont simplement
interdit aux transporteurs routiers mexicains d’exercer des activités
susceptibles de les mettre en concurrence avec les transporteurs routiers
américains ».109
129. Le Mexique affirme que « les États-Unis appliquent aux demandeurs
mexicains des règles différentes de celles qu’ils appliquent aux
demandeurs américains et canadiens » en ceci qu’« ils permettent aux
demandeurs américains et canadiens d’autocertifier leur conformité à la
réglementation, les évaluent en fonction de leurs dossiers individuels et
leur accordent le droit de recours contre le rejet de leurs demandes,
alors que les demandeurs mexicains ont été catalogués collectivement comme
inaptes et indignes de confiance, suivant une méthode d’évaluation qui n’a
jamais été officiellement adoptée et reste inconnue ».110 Cette façon de
procéder enfreint le paragraphe 904(2) (qui régit l’établissement des
niveaux de protection) et l’article 907 (qui prescrit l’évaluation des
risques), dispositions conçues pour éviter l’application de « distinctions
arbitraires ou injustifiées entre produits ou services semblables ».111
130. Le Mexique conclut de ce qui précède que « même si les États-Unis
pouvaient être réputés appliquer une norme de sécurité, cette norme
n’aurait pas été adoptée conformément à la procédure prescrite au chapitre
9 de l’ALÉNA. Par conséquent, l’application de cette norme constitue une
violation caractérisée de l’ALÉNA ».112
131. Le Mexique fait aussi valoir que les États-Unis ne peuvent justifier
leur inaction en invoquant l’article 2101. À propos des exceptions
générales, il rappelle que le passage pertinent du paragraphe 2102(2) est
ainsi libellé :
À condition que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer
soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifié entre des pays où
les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce
entre les Parties, aucune disposition [...] du chapitre 12 (Commerce
transfrontières des services) [...] ne sera interprétée comme empêchant
l’adoption ou l’application par toute Partie des mesures nécessaires pour
assurer l’application des lois et règlements qui ne sont pas incompatibles
avec les dispositions du présent accord, et notamment des lois et
règlements qui ont trait à la santé, à la sécurité et à la protection des
consommateurs.
132. Le Mexique fait observer que le paragraphe 2102(2) n’autorise à
prendre des mesures incompatibles avec l’ALÉNA qu’à la seule condition «
que les lois ou les règlements dont on veut assurer l’application ne
soient pas eux-mêmes incompatibles avec cet accord ».113
133. Le Mexique soutient aussi que la portée du paragraphe 2101(2) doit
être interprétée en fonction de la pratique de longue date du GATT (Accord
général sur les tarifs douaniers et le commerce) à l’égard des exceptions
générales analogues prévues au paragraphe XX(d) de cet accord. Il faut non
seulement que les « lois et règlements » ne soient pas incompatibles avec
les dispositions de l’accord, mais aussi que les mesures soient «
nécessaires pour assurer [leur] respect » et ne soient pas appliquées de
façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou
injustifiable, soit une restriction déguisée au commerce international ».114
134. Le paragraphe 2101(2) est applicable au seul cas où la Partie en
question autorise en général la prestation de services transfrontières,
mais veut adopter ou exécuter d’autres mesures qui peuvent être
incompatibles avec l’ALÉNA afin d’assurer l’observation de la loi ou du
règlement principal. Autrement dit, le paragraphe 2102(2) n’autorise que
les mesures conçues pour empêcher les activités qui enfreindraient la loi
ou le règlement principal. Le refus d’examiner les demandes de permis
formulées par des personnes du Mexique ne se justifie pas en vertu de
l’article 2101 parce que le gouvernement américain n’a pas pris cette
mesure pour assurer l’application d’une loi ou d’un règlement. Qui plus
est, la mesure américaine constitue un moyen de discrimination arbitraire
et injustifié contre les personnes du Mexique et une restriction déguisée
au commerce entre les Parties.115
135. Le Mexique fait observer qu’il ne s’est pas entendu avec les
États-Unis pour négocier une modification de l’ALÉNA qui les autoriserait
à retarder la mise en oeuvre des dispositions relatives aux services
transfrontières de camionnage. En participant à des consultations – qui se
sont révélées infructueuses – en vue d’un règlement, le Mexique n’a pas
renoncé aux droits que lui confère l’ALÉNA.116
136. Le Mexique fait valoir en outre que le libellé des dispositions
applicables de l’ALÉNA – qui prévoient la condition « que ces mesures [exceptionnelles]
ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de
discrimination arbitraire ou injustifié entre des pays où les mêmes
conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce entre les
Parties » et stipulent que ces mesures doivent être « nécessaires pour
assurer l’application des lois et règlement qui ne sont pas incompatibles
avec les dispositions du présent accord » – montre que les Parties avaient
l’intention « que le paragraphe 2101(2) de l’ALÉNA fût interprété de la
même manière que le paragraphe XX(d) du GATT ».117 Par conséquent, « la
jurisprudence du GATT et de l’OMC touchant l’interprétation du paragraphe
XX(d) du GATT doit être considérée comme pourvue d’une forte valeur
probante lorsqu’il s’agit d’établir le sens du paragraphe 2101(2) de
l’ALÉNA, notamment les décisions suivantes : Canada – Certaines mesures
concernant les périodiques,118 États-Unis – Normes concernant l’essence
nouvelle et ancienne formules119 et États-Unis – Prohibition à l’importation
de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes ».120
137. Le Mexique rappelle que les États-Unis ont invoqué le terme «
nécessaires » dans les affaires de l’essence nouvelle et ancienne formules
et de l’article 337,121 tout comme ils l’ont fait contre le Canada dans
l’affaire des périodiques, encore que dans ce dernier cas le groupe
spécial n’ait pas tenu compte de cette question dans sa décision.122 Après
avoir passé en revue les décisions du groupe spécial et de l’Organe
d’appel dans l’affaire de l’essence nouvelle et ancienne formules, le
Mexique note ce qui suit :
[Donc, l’Organe d’appel] a conclu que la nécessité pour une Partie
d’adopter, parmi les mesures dont elle dispose raisonnablement, celle qui
comporte le moindre degré d’incompatibilité avec le GATT se déduit de la
stipulation du texte introductif de l’article XX selon laquelle les
mesures incompatibles avec le GATT ne doivent pas être appliquées de façon
à constituer soit un moyen de discrimination injustifiable, soit une
restriction déguisée au commerce international. Il a aussi conclu que le
fait pour un gouvernement de n’avoir pas tiré un parti suffisant de la
possibilité d’arrangements intergouvernementaux de coopération pour
assurer l’exécution constitue une preuve concluante que ce gouvernement
n’a pas adopté, parmi les mesures dont il disposait raisonnablement, celle
qui comportait le moindre degré d’incompatibilité avec le GATT.123
138. Enfin, invoquant la décision sur les
crevettes, le Mexique rappelle
que l’Organe d’appel en l’espèce « a conclu que la “rigidité et
l’inflexibilité” de la mesure américaine, qui exigeait des autres pays
qu’ils adoptent une réglementation “pour l’essentiel identique” à celle
des États-Unis, constituait un moyen de discrimination arbitraire au sens
du texte introductif de l’article XX ».124
139. Pour ce qui concerne la présente espèce, le Mexique soutient que les
décisions sur l’essence nouvelle et ancienne formules et sur les
périodiques démontrent que le moratoire américain doit assurer
l’application d’autres dispositions légales ou réglementaires qui ne sont
pas incompatibles avec l’ALÉNA, qu’il doit être nécessaire pour assurer
cette application et qu’il ne doit pas constituer un moyen de
discrimination arbitraire ou injustifié entre des pays où les mêmes
conditions existent ou une restriction déguisée au commerce.125
140. Selon le Mexique, le moratoire américain ne remplit pas ces critères.126
141. Le Mexique rappelle que les dispositions applicables de l’annexe I
concernent les mesures non conformes existantes et leur libéralisation. En
fait, il découle des objectifs de l’ALÉNA que la libéralisation, qu’elle
soit prévue sous l’élément Élimination progressive ou sous l’élément
Description, constitue l’aspect fondamental des réserves et prime sur tout
autre élément, y compris la mesure elle-même. « Il n’est prévu aucune
autre espèce d’exceptions sous l’élément Élimination progressive des
réserves américaines touchant les services de transport routier. Les
engagements en question ont pris effet aux dates qui y sont spécifiées et
à ces mêmes dates ont acquis force obligatoire ».127
142. Le Mexique soutient qu’aucune exception prévue à l’ALÉNA n’est
applicable à l’inaction américaine. Les articles 1206 (services) et 1108
(investissement) autorisent des réserves déterminées – notamment en
dérogation aux articles 1102 et 1202 (traitement national) et aux articles
1103 et 1203 (traitement de la nation la plus favorisée) – dans les
limites que stipule la note introductive de l’annexe I.
143. Selon le Mexique, le Groupe spécial ne devrait pas « examiner le
point de savoir si les États-Unis ont annulé ou compromis, en situation de
non-violation, des avantages que le Mexique pouvait raisonnablement
attendre de son adhésion à l’ALÉNA, étant donné que le Mexique a déjà
recensé plusieurs violations caractérisées ». Si le Groupe spécial
décidait néanmoins de le faire, « le Mexique croit que certains aspects de
la décision relative aux marchés publics seraient utiles pour
l’interprétation des dispositions de l’ALÉNA applicables à la présente
espèce ». Cette décision (dont le titre complet est Corée – Mesures
affectant les marchés publics) est pertinente selon le Mexique parce
qu’elle confirme l’applicabilité du principe Pacta sunt servanda de
l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités à «
l’interprétation des Accords de l’OMC et à la procédure d’établissement
des traités dans le cadre de l’OMC ».128 Notamment, cette décision, « en
mettant l’accent sur la nécessité d’une application de bonne foi des
traités, contribue à mettre au jour une tare fondamentale de la position
américaine dans le présent différend ». Le Mexique pense que les
États-Unis regrettent les concessions qu’ils ont faites en matière de
services transfrontières de camionnage.129
144. Le Mexique, rappelant le caractère inconditionnel de l’annexe I, note
que « les Parties [dans le cadre du Sous-comité des normes relatives aux
transports terrestres institué par l’ALÉNA] ne prévoyaient pas de rendre
leurs normes compatibles avant la date à laquelle les États-Unis s’étaient
engagés à permettre un élargissement de l’accès à leur marché en matière
de services transfrontières de camionnage [...] L’ALÉNA ne stipule pas que
le Mexique doive adopter une réglementation intérieure identique ou
équivalente à celle des États-Unis avant qu’il ne soit permis à ses
transporteurs routiers de fournir des services transfrontières ».130
145. L’annexe I, le texte définissant les points convenus au Sous-comité
des normes relatives aux transports terrestres, le chapitre 9, l’article
2101 et la conscience manifeste chez les États-Unis « de leur obligation
d’autoriser d’autres transporteurs mexicains à fournir des services
transfrontières à compter de décembre 1995 » – tous ces facteurs amènent
le Mexique à conclure ce qui suit :
[L]e « sens ordinaire » de l’ALÉNA, selon l’interprétation des États-Unis
autant que du Mexique, était que les transporteurs appartenant à des
personnes du Mexique bénéficieraient du traitement national et du
traitement de la nation la plus favorisée trois ans après la signature de
l’ALÉNA pour ce qui concerne l’obtention de permis d’exploitation leur
permettant de fournir des services transfrontières de camionnage dans les
États frontaliers, et six ans après l’entrée en vigueur de cet accord en
ce qui a trait à la prestation des mêmes services sur l’ensemble du
territoire américain. Il s’ensuivait que les transporteurs appartenant à
des personnes du Mexique seraient admis à présenter des demandes dans le
cadre des mêmes procédures que les transporteurs américains et canadiens
(ou de procédures équivalentes) et que leurs demandes seraient évaluées
suivant les mêmes critères, sauf adoption d’une modification raisonnable
en conformité avec une exception applicable prévue par l’ALÉNA.131
146. Le Mexique soutient que les États-Unis ont manqué à leur obligation,
découlant de l’annexe I et des dispositions relatives au traitement
national, d’autoriser les ressortissants mexicains à investir dans le
secteur américain des transports routiers, ces ressortissants se voyant
empêchés d’établir une entreprise aux États-Unis ou d’investir dans des
entreprises américaines déjà engagées dans le commerce international. Le
Mexique voit aussi dans cette conduite un manquement à l’obligation du
traitement NPF, puisque aucune restriction de cette nature ne vient
limiter la capacité des personnes du Canada à investir dans les
transporteurs routiers américains.132 En dépit de son engagement d’éliminer
progressivement les restrictions existantes, le gouvernement américain n’a
pas encore supprimé la prescription obligeant tout demandeur désireux de
faire l’acquisition d’une entreprise américaine de camionnage existante à
certifier qu’il n’est pas domicilié au Mexique ni contrôlé par une
personne du Mexique.133
147. Le Mexique fait observer que « les États-Unis reconnaissent
expressément que leur prohibition à l’investissement mexicain n’est pas
fondée sur des préoccupations de sécurité », mais que, dans les termes du
représentant des États-Unis, « elle découle du moratoire, elle fait partie
du moratoire qui est encore en vigueur ».134 Ainsi, bien qu’ils aient soutenu
dans leurs mémoires qu’il incombait au Mexique de désigner un
ressortissant mexicain déterminé qui souhaitât investir, les États-Unis
ont déclaré à l’audience que même si le Mexique pouvait désigner un
investisseur éventuel, cela ne suffirait pas pour les amener à admettre
avoir enfreint l’ALÉNA. Les États-Unis ont refusé d’expliquer cette
position. Par conséquent, le Mexique estime que l’infraction des
États-Unis aux articles 1102 et 1103 a été clairement établie.135
148. Le Mexique note que la loi américaine oblige encore tout demandeur
d’un nouveau permis d’exploitation aux États-Unis à produire une
déclaration attestant qu’il n’est pas un ressortissant mexicain ni
contrôlé par des ressortissants mexicains. Il en va de même pour la
transmission des permis existants. « Dans ces conditions, on voit mal
comment un transporteur mexicain se donnerait la peine de demander
l’autorisation d’établir une entreprise de transports aux États-Unis ou
d’acquérir un transporteur américain existant ».136 Le Mexique soutient que,
suivant un principe généralement admis dans le cadre du GATT et de l’OMC,
lorsqu’une mesure se révèle incompatible avec les obligations de la Partie
qui l’a prise, il n’est pas nécessaire de prouver que cette mesure a eu un
effet sur le commerce international [...] Lorsqu’il y a violation
caractérisée de l’ALÉNA, comme c’est le cas dans la présente espèce, le
Groupe spécial n’a pas à constater une annulation ou une réduction
d’avantages; il lui suffit de conclure à l’incompatibilité avec l’ALÉNA
des mesures incriminées [américaines en l’occurrence].137
149. Une des principales thèses du Mexique est que, malgré l’affirmation
des États-Unis selon laquelle le report de la mise en oeuvre des
dispositions relatives aux services de camionnage aurait été motivé par
des préoccupations de sécurité, il l’était en réalité par des facteurs
politiques. À l’appui de cette thèse, le Mexique invoque les déclarations
faites avant le 18 décembre 1995 par le Secrétaire américain aux
transports (M. Peña) et divers hauts fonctionnaires des États frontaliers,
comme quoi les États-Unis étaient prêts à la mise en oeuvre. Le Mexique
invoque également des articles de presse touchant l’effet exercé par
l’intervention des Teamsters sur la première décision américaine de report
et les considérations politiques qui ont déterminé les reports ultérieurs.138
150. Le Mexique soutient en outre que les motifs des États-Unis sont
pertinents, au moins pour ce qui concerne les questions découlant de
l’article 904, mais il admet qu’ils ne le sont pas relativement à des
dispositions comme celles du paragraphe 2101(2), étant donné qu’« une
mesure peut se révéler non conforme à l’ALÉNA même lorsque le gouvernement
qui l’a prise voyait de bonne foi dans la sécurité l’objet principal de
cette mesure ».139
Continue á: Alinéa
151 |